mercredi 29 juin 2011

deux balles dans le juke box # 01



je profite d'une journée pénible pour rebaptiser mon juke-box...
donc, mettez deux balles dans la fente appropriée ou cliquez sur l'image... vous avez le choix...

(...)

dimanche 26 juin 2011

sourires d'une belle journée d'été (2011) # 02







(...)

ma discothèque idéale (2011) # 02

(sélection spéciale Marche des Fiertés 2011)


006 - Harvey Fierstein a changé le cours de ma vie en 1988 avec le sublime "Torch song trilogy". Depuis, je guette la moindre de ses apparitions, hélas trop rares et indignes de son talent... Il n'y a donc que ce live où il se laisse aller à faire ce qu'il fait de mieux : parler et chanter... C'est outrageusement drôle et émouvant... La BO du film l'est tout autant mais elle est devenue introuvable. Evidemment, depuis, la cause gay a formidablement évolué en occident, les New Yorkais peuvent même se marier depuis le 24 juin 2011... Ce disque est désormais devenu un savoureux document d'humour et de pur entertainment....

007 : Les Flirtations étaient une merveilleuse formation a capella de la fin des années 80. Leur répertoire était généralement composé de standards joyeusement détournés... Certains se souviendront peut être de leur apparition dans le film "Philadelphia". Ils étaient la face joyeuse de la lutte contre le sida (qui ravagea la formation). C'est frais, drôle et ça swingue en diable...


008 : Michael Callen était le leader des Flirtations. Ce double album posthume est une merveille de chansons jazzy-pop tournant autour des thèmes de l'amour, de la famille, du sida, de l'égalité... On est loin des pensums militants... La présence de Fred Hersch au piano n'est évidemment pas étrangère à la réussite de l'ensemble. Sublime.


009 : On dit le monde du jazz particulièrement homophobe. Peut être. Fred Hersch n'en est pas moins un immense pianiste et compositeur. Au moment de choisir un album dans sa longue et passionnante discographie (du moins dans la thématique d'aujourd'hui), j'ai choisi ce disque de duos généralement vendu au profit de la lutte contre le sida. Rien que pour Andy Bey, Janis Siegel, Lee Konitz et Gary Burton, ces "duos" valent amplement le détour. Surveillez le programme des clubs de jazz près de chez vous, Fred Hersch va mieux (il est sorti d'un coma lié au sida) et parcourt de nouveau les clubs du monde entier.

010 : Ouvertement gay et malade du sida, Andy Bey est une des plus émouvantes voix du jazz. Coltrane disait qu'il était son chanteur favori. Cet "American song" totalement composé de standards est sans doute son chef d'oeuvre. Son "Tuesdays in Chinatown" explore un répertoire plus pop avec, en bonus caché, un magnifique "River man" étonnament proche de celui que vous savez...


(...)

sondheim jukebox # 14



"Side by side by side" (Company)

(...)


samedi 25 juin 2011

sourires d'une belle journée d'été (2011) # 01







(...)

pride 2011




et tant pis si je joue sur les mots... :o)

(...)

burt bacharach songbook # 04



(Spéciale dédicace à Dominique C.)

(...)

split screen # 34




(Allez voir les films au cinéma)

(...)

dimanche 12 juin 2011

ma discothèque idéale (2011) # 01

on m'a souvent demandé les références de certains disques suite à ma "fameuse" playlist publiée il y a des années sur "La caverne" (désormais bouchée)... aujourd'hui, je pourrais presque la renier tant j'ai  fait des découvertes musicales depuis... alors, voilà... une sélection qui n'aura de fin que... la fin... un seul conseil : ne suivez mes avis que si vous en éprouvez le désir...  je ne suis pas télévishnou... il ne s'agit que d'une sélection forcément amnésique de galettes dont je vous recommande vivement l'audition.... Ok, écouter un disque est quelque chose dont on n'a plus vraiment l'habitude... moi le premier... cela dit, il faut que ça cesse... je veux jouer au vieux con et à l'idée de projet artistique... vous êtes prêts ? Come on, let's go !


001 - John Coltrane - My favorite things : il me fallait un son pour commencer... et qui mieux que ce vieux Colt pour incarner ce son... ici, au soprano, il transfigure la bluette de "the sound of music" pour en faire un morceau qui tutoie l'universel à tel point que l'originial en sort grandi... McCoy Tyner et Elvin Jones ne sont évidemment pas étrangers à cette perfection... même si vous l'avez déjà entendu, asseyez-vous dans un fauteuil et écoutez... ça commence comme ça.........

002 - Stephen Sondheim : Company (Original broadway cast recording) : une claque comme on n'en reçoit que très rarement dans une vie... Sondheim... J'avais plus de 40 ans quand j'ai réalisé qu'il était sans doute le plus grand compositeur américain depuis Cole Porter... Je me suis pris cette "Company" dans la gueule sans m'y attendre... stupidement, je mettais le disque et me couchais paisiblement... pensant naïvement que la musique n'est là que pour conforter nos certitudes... sauf que... Elaine Stritch (je sais, je l'ai souvent évoquée ici mais bon...) a bousculé tout mon univers avec "The ladies who lunch"... j'ai mis du temps à comprendre que la beauté, que toute beauté était ailleurs... évidemment, une fois la frontière franchie, la solitude est grande et douloureuse... à moins de passer une petite annonce... écoutez-donc ce chef-d'oeuvre de Broadway (en oubliant tous vos préjugés) et rejoignez-moi derrière la ligne mauve...
(à suivre...)

003 : Ella Fitzgerald : The Cole Porter Songbook :  rien  à dire... une interprète inoubliable (surtout quand on l'a vue sur scène, comme moi, mais c'est une autre histoire...) sur un répertoire essentiel dans l'histoire de la musique occidentale du XXème siècle... mais si, vous avez forcément entendu "Love for sale" ou "Night and day" ou "Miss Otis regrets" ou "Anything goes"........ c'est l'Arc de Triomphe du jazz vocal américain... (ne faîtes pas attention à la couverture, il s'agit bien du double CD : "Ella Fitzgerald sings the Cole Porter Songbook" chez Verve....

004 : Pierre Boulez - Igor Stravinsky : Petrouchka/Le sacre du printemps : je ne vais pas être hypocrite et prétendre avoir l'oreille idéale me permettant de distinguant telle version plutôt que telle autre... sauf que ce "Sacre" a été mon premier et que tout le monde semble être d'accord pour dire qu'il n'a jamais été surpassé... qu'on dirait que les cordes risquent de claquer à chaque reprise... si je ne m'abuse (ce qui est tout à fait possible), c'est la version que Pina Bausch a retenu pour sa chorégraphie... rock'n'roll que j'vous dis...

005 : Jean Guidoni : Crime Passionnel : Guidoni / Piazzola / Pierre Philippe... mes années 80... une voix unique, une musique unique et des textes uniques... on atteint là une sorte de perfection rarement atteinte depuis... dire qu'il m'aura fallu plus de vingt ans pour vraiment comprendre de quoi il s'agissait... quoi qu'il en soit, ce disque est magique... difficilement trouvable tel quel mais il existe (pour le bonheur de tous) dans une édition regroupant les 3 albums de la première période Pierre Philippe (Crime passionnel/Rouge/Putains)... un chef d'oeuvre, j'vous dis... et pourtant je ne suis pas client de la chanson française de qualité... c'est un tout... et là, il y a un tout qui me comble...

006 : Bob Dylan : The freewheelin' Bod Dylan : au risque de passer pour un parfait imbécile n'ayant rien à dire, je pourrais avancer que l'on reste sans voix devant un tel disque... Une voix comme une brûlure intime, des textes simples mais évidents et des mélodies inoubliables... évidemment "Blowing in the wind" mais surtout "A hard rain's a-gonna fall" qui m'accompagne depuis plus de trente ans... Je me souviens l'avoir chantonnée tout le long d'un film de Wenders ("Faux mouvement") jusqu'à ce que Rüdiger Vogler ne le fasse à l'écran... et un soir, au parc de Sceaux, lors d'un concert de Santana/Joan Baez/Bob Dylan, je me tourne et... me retrouve face à face avec Rüdiger Vogler...
(quand je vous dis que c'est une sélection très personnelle...)

(...)

burt bacharach songbook # 03



The Carpenters, "Close to you"

(...)

split screen # 33




(...)

monumenta 2011 (couleurs)






(...)

samedi 11 juin 2011

John Cameron Mitchell, "Lady Grey London".



Le dernier "film" du divin John Cameron Mitchell.

(...)

dimanche 5 juin 2011

Place Georges Pompidou - 75004 Paris # 01

Cy Twombly

Avigdor Arikha

Marcel Duchamp

Robert Delaunay

Georges Braque

(...)

jukebox 2011 # 10



Jacqueline Taïeb, "7 heures du matin".

(...)

samedi 4 juin 2011

monumenta 2011 (noir & blanc)






Anish Kapoor - Leviathan
Grand Palais (Paris)
11/05-23/06

(...)

jeudi 2 juin 2011

Viale Vaticano - 00100 - Roma # 01






Quatre clichés dont je ne suis pas très fier... D'une part à cause de leur médiocrité sans doute liée à l'émotion qui m'a véritablement submergé en pénétrant dans la Chapelle Sixtine et, d'autre part, parce que les photographies y sont interdites... Je me suis permis de voler ces quelques images présumant arbitrairement de mes talents de photographe et parce qu'au moins, moi, j'ai observé ces fresques fabuleuses tant que j'ai pu rester jusqu'à ce que la tête me tourne... La plupart du public n'ayant aucun scrupule à photographier ce chef-d'oeuvre de l'humanité avec leurs téléphones portables en narguant les gardes qui hurlent des injonctions alors que le recueillement est supposé être le mot d'ordre... Je rêve d'une visite privée de la Chapelle... Michelangelo Buonarroti fut sans doute l'artiste majeur de l'histoire du monde occidental. Je ne suis pas près d'oublier ces dix petites minutes...

(...)

cinéma, cinémas # 01



Julien Duvivier, "La tête d'un homme" (1933)

En mémoire de Michel Boujut (13-05-1940 / 22-05-2011)

(...)

un mois en images - mai 2011






(...)

burt bacharach songbook # 02



Le classique des classique
Dionne Warwick, "I say a little prayer"

(...)

burt bacharach songbook # 01



Nouvelle série, nouveau songbook...
Ronan Keating, "I'll never fall in love again".

(...)

jukebox 2011 # 09



Jacqueline Taïeb, "La fac de lettres".
(1967)

(...)

Rachilde saisie par la débauche (Pierre Philippe)

Paul Léautaud, dans sa canfouine, dressa l'oreille et posa sa plume. Qu'est-ce que c'était que ce chahut, là-haut, chez les Vallette ? L'immeuble de la rue de Condé n'était pas familier de ce concert de meubles remués, de criaillements mêlés d'hommes et de femmes avec, en prime, le cliquetis d'un objet de verre qu'on brise. Il ricana : c'était bien le comble que le Mercure de France connût l'agitation sordide d'un mauvais lieu ! Il sortit dans l'escalier, y croisa Mme Izambard, la concierge, qui montait précipitamment à l'étage noble, suivie de quelques employés. Ils échangèrent un regard mi- navré mi-complice. A n'en pas douter, le ruffian de Mme Rachilde était en train de faire des siennes... Mais, bien qu'il eût une forte envie d'aller contempler les grotesques conséquences des passions humaines, il retourna dans son placard pour finir d'y corriger les épreuves de la revue, murmurant pour lui-même : " Pauvre folle..."

" Je suis vraiment désolé de ce qui vient d'arriver, monsieur... Mais il faut m'excuser : nous autres, en Roumanie, sommes un peu colériques... Et quand nous sommes à court d'arguments... " L'homme arborait un sourire désarmant et commençait à ramasser les livres jetés à terre, les fragments du vase fracassé. Alfred Vallette, le patron du Mercure, tombait dans un fauteuil, la main sur son cœur battant. Il porta un regard plein de tendre pitié sur son épouse, vaillante au milieu du désordre. C'était du propre, cette vieillarde épaisse avec ses cheveux blancs tirés en chignon, sa robe d'intérieur mauve à volants de dentelle de Bruges, contemplant, amoureusement terrorisée, ce type agenouillé qui tentait de réparer les effets de sa fureur. Il congédia d'un geste la concierge. On pouvait peut-être clore un tel charivari par une négociation à l'amiable, loin de témoins goguenards. La main de Vallette tapota son chéquier. Allons, que voulait ce jeune homme? Un peu d'argent, comme d'habitude. Lorsque cela fut expédié, il affermit sa voix : " Bien entendu, monsieur Nicolesco, vous vous engagez, après cela, à ne plus importuner Mme Rachilde. " Mais il vit bien, dans le regard gris de sa femme et dans celui du bellâtre, sombre sous les longs cils gominés, qu'il n'en serait rien.

Cette scène un peu trop pittoresque n'était que l'épilogue provisoire d'une situation qui durait depuis cinq ans. Depuis cette année 1929 où Marguerite Eymery, épouse Vallette, dite Rachilde, l'égérie de la légendaire revue et maison d'édition au caducée, rendez-vous des symbolistes et de quelques autres aux grandes heures du mouvement (1890 - 1910), s'était brusquement confrontée à ce qui peut probablement arriver de pire à un écrivain : l'apparition in vivo du personnage récurrent de son abondante production littéraire. La mixture prémonitoire de Chéri, de l'ange Heurtebise et de Querelle de Brest. Un type qu'elle avait elle-même enfanté en 1884, à vingt-quatre ans, en faisant publier Monsieur Vénus, cette remise en question de toutes les lois de la nature, avec le personnage de Jacques Silvert, Hercule enfant poussé à la transsexualité par le caprice d'une belle insatisfaite à cravache... Une bombe qui avait éclaboussé vieux et jeunes crocodiles du marigot des lettres l'avait fait surnommer " Mlle Baudelaire " par Maurice Barrès et l'avait auréolée à vie d'une nuée de soufre. Barbey, Goncourt, Huysmans, Mendès et Wilde l'admirèrent, sans parler de Verlaine, de Lorrain et de Louis II de Bavière. Le drame est que après ces débuts sataniques, elle se trouvait condamnée à tenter d'en réitérer les échos, alignant, d'année en année, des Madame Adonis, des Hors-Nature et autres Heure sexuelle sans parvenir au flamboiement aujourd'hui délicieusement fin de siècle de son chef-d’œuvre de jeunesse. La conséquence était aussi qu'elle reprenait à chaque fois la peinture, jamais assez captivante à son goût, de ce frère de Dorian Gray (apparu, lui, en 1891) qui devait bien évidemment à chaque fois périr atrocement après avoir chamboulé la vie d'innombrables marquises, peintres de renom, hobereaux de province et autres proies consentantes.

La fin de la guerre de 14-18 avait délié les entraves imposées aux femmes. Elle avait aussi considérablement amenuisé le magistère du cénacle de la rue de Condé et de sa grande prêtresse. Si elle y tenait toujours salon, le mardi, elle s'était mise à courir la ville, en proie aux plaisirs nouveaux d'une époque qui revendiquait le droit de se dégourdir les jambes au rythme des trompettes des jazz-bands débarqués à Bordeaux et à Saint-Nazaire en juin 1917. Sa cour de jeunes adorateurs l'entraînait, sans qu'elle y trouvât trop à redire, dans ces bars, ces spectacles et ces soirées privées où, pensait-elle, elle découvrirait quelque thème émoustillant pour son prochain ouvrage. Et, de fait, ses lecteurs commençaient à lire les descriptions, vertueusement scandalisées, de ces " soirées persanes où l'on pouvait voir évoluer en des poses plastiques un danseur oriental au nombril illuminé de rouge à lèvres... " Ainsi Joan Nicolaï Nicolesco Nel Haroun de son nom d'artiste entrait-il en majesté dans l'œuvre de Rachilde.

Le corps nu, qui avait fait au music-hall une tapageuse irruption au début du siècle avec les exhibitions de Mata Hari, de Régina Badet ou de Colette Willy, tendait à la conquête de l'espace laissé libre par la mise au rancart des gommeuses épileptiques et des tourlourous à l'accent rural. La femme nue devenait l'une des figures fondamentales de ces revues, de plus en plus audacieuses et opulentes, qui seraient aux années 20 ce qu'avait été l'opéra aux dernières années du siècle. Des femmes qui allaient faire battre le cœur des gens de plume (ainsi Edmonde Guy affolerait-elle Pierre Benoit, Tania Visirova Roger Vailland et Joséphine Baker Georges Simenon).Mais ce n'était pas assez des Aphrodites, il fallait que s'y joignent des Apollons pour que vibrât l'âme des spectatrices (et de certains spectateurs aussi). Alors entrèrent dans l'histoire du music-hall des Herbert Stoowitz, des Paul Swan et des Edmond Van Duren à qui succédèrent des Spadolini, des Frédéric Rey et, bien plus près de nous, un Jorge Lago qui éclipserait sans mal, aux yeux d'Aragon, les mérites de Zizi Jeanmaire lors de son numéro de L'Eveil du sultan dans la revue du Casino de Paris en 1972. C'est à cette race de danseurs dévoyés dans l'exhibitionnisme qu'appartenait le bouillant Roumain imprudemment introduit par Rachilde dans son œuvre. Et dans sa vie.

Elle allait avoir soixante-dix ans, écrivait ponctuellement auprès d'un mari-frère et négligeait sa fille unique. Elle devinait vaguement qu'elle avait raté son œuvre, sinon sa vie, et s'était mise à cultiver l'esprit de contradiction jusqu'à passer elle, la prophétesse de la sainte liberté des pulsions pour la figure emblématique de tous les conservatismes. Et ce n'était pas la moindre de ses contradictions que de s'amouracher de cette créature exotique (car roumain ce n'était pas assez, et elle l'avait naturalisé turc...) dont on ne savait rien, sinon qu'elle n'était pas avare de ses charmes et les monnayait présentement à une certaine baronne von Wagner, dite Léonie Lorraine, l'une de ces aventurières à la nationalité aussi imprécise que l'état civil et qui logeait au Ritz, mais sous les combles. Le landernau littéraire pouvait dès lors assister, entre réprobation et apitoiement, à la chevauchée impudique de l'ancienne papesse prise de vertige. Et, scribe vipérin, Léautaud commencer à égayer son Journal des frasques de la patronne, notant, non sans quelque secrète envie, qu'" elle traîne partout, et la nuit jusqu'à 4 heures du matin, avec tous ces jeunes gens d'allure assez équivoque. Jolis garçons pour la plupart. Elle-même le répète à chaque instant, parlant de l'un et de l'autre : ``Il est si beau !`` " On la voyait au Bœuf sur le toit et au bar interlope que tenait l'ancien champion de boxe Georges Carpentier, boulevard de la Madeleine. On la repérait entre Pigalle et Blanche, partout où l'on s'amusait. Elle était increvable, comme si la présence auprès d'elle du danseur faisait lever ses dernières forces. On l'avait vue faisant le coup de poing contre les surréalistes, lors du fameux banquet Saint-Pol Roux à la Closerie des lilas. Elle traînait à présent dans la boue les féministes, au Club du Faubourg, en raison de l'infériorité mentale bien connue des femmes ! C'est qu'elle doute profondément d'en être une et se conduit avec Nel Haroun non comme une femme amoureuse mais comme un " micheton " classique (Jean Lorrain ne lui écrivait-il pas : " Vous êtes mieux qu'albémique, archaïque et satyriasique : je vous trouve délicieusement pédéraste "), soucieuse, avant tout, de lui prouver l'étendue, l'éclat de ses relations et l'avantage qu'il pourrait en escompter. Le beau Roumain ne se le fait pas dire deux fois. Paraître en guest star dans les romans de sa protectrice comme dans L'Homme aux bras de feu ne lui suffit bientôt plus. Elle a beau lui dédier La Femme aux mains d'ivoire, placer en tête de ses Portraits d'hommes la sanguine qu'il trace d'elle (car le bougre a de multiples talents), il fait monter les enchères. Elle saute le pas en 1930, écrivant les cent premières pages de Mon étrange plaisir, une prétendue autobiographie d'Haroun, qu'elle s'en va proposer à Bernard Grasset. Refus. Comment faire comprendre au jeune homme que son nom seul ne lui ouvrira pas les portes de l'édition ? Elle se décide à lui avouer qu'elle fera paraître le récit sous son propre nom, chez Baudinière, quitte à le remercier pour son aimable participation. Il entre en fureur : " Je ne puis céder une chose qui m'appartient sans voir mon nom dans la préface et sur la couverture, s'il y en a une... " Il menace, lui rappelle sans vergogne qu'il a nourri ses derniers romans de sa luxurieuse présence... Et lui conseille de passer l'affaire à Vallette, qui sait, lui, parler aux éditeurs ! Il oscille entre larmes et menaces. Il lui faut 300 francs tout de suite ; la baronne von Wagner le lâche ; comment payer le Ritz ? Après le paradis, l'enfer a commencé pour la pauvre Rachilde.

Car si elle assumait à merveille son rôle de " miché " (se portant garante de lui, par exemple, auprès de la préfecture de police lorsque son visa vient à expiration), il tenait celui de " gig " avec une parfaite cohérence, la rançonnant, commettant chez elle quelques larcins et allant, parce qu'un peu de passion fait toujours bien dans le tableau, jusqu'à lacérer son portrait exécuté par un rival. Ainsi en était-on arrivé, dans la digne maison de la rue de Condé, à voir et entendre des scènes plus dignes des romans de Francis Carco que de ceux de Georges Duhamel. Et cela ne faisait pas vraiment peur à Rachilde, qui écrivait à son protégé : " Je suis à la fin de ma vie et j'ai gardé le goût du risque. Ce serait ridicule si j'étais une femme ordinaire mais, vous le savez, je n'ai pas un seul de leurs instincts primordiaux. Je n'aime pas les hommes, d'une façon ou d'une autre... " Eh oui, elle n'aimait que les Diego Sandovar et autres Lucian Dalvar qu'elle manipulait à sa guise dans ses textes, sur le mode sado-masochiste dont nul ne sait si elle le pratiqua dans la vie courante : Nel Haroun la contraignit-il, comme le croit l'une de ses historiographes, au spectacle d'un meurtre par lui commis ? En tout cas, elle décida, pour sa part, de le zigouiller, littérairement parlant, dans son " polar " de 1937, L'Autre Crime. En comtesse de Givray (...), élégante veuve (Vallette était mort en 1935) portée sur les voyous, elle finissait par révolvériser un sosie d'Haroun, " mèche noire lui barrant le front, les yeux lumineux, toujours insolent et beau, les gestes souples sous le smoking... ". C'est que la comtesse devait partager avec lui l'aveu du meurtre d'un directeur de music-hall, amateur de " petits marins ". Nous étions à quatre ans du meurtre d'Oscar Dufrenne, directeur du Palace, à moins d'un de celui de Louis Leplée, " découvreur " de Piaf. Nel Haroun avait dû se sentir honoré...

Le sort accablait chaque jour un peu plus la vieille littératrice déphasée. Son cher Mercure cédé, elle se replia à Corbeil, dans ces " Bas Vignons " où, autrefois, Alfred Jarry et elle venaient faire de la bicyclette. Elle écrit toujours, en plein exode de 1940. Ce sera Face à la peur. A la page 160, sur le mauvais papier de l'Occupation, une silhouette y surgit. Elle crie, elle a reconnu " l'objet du luxe ", Nicolesco lui-même qui, d'un pas tranquille de promeneur, fait l'exode à sa manière. Qu'est-il venu chercher ? Elle n'ose y penser. Le soir vient. Pour la première fois, peut-être, ils dorment, seuls, sous un même toit. Puis il repart vers quelle destinée ? , la laissant étonnée qu'il ne l'eût point tuée dans la nuit.

Elle mourra en 1953, à quatre-vingt-treize ans, dans la misère et l'indifférence générale, avec, à son cou, le médaillon renfermant la photographie de son " Monsieur Vénus " incarné : Nel Haroun.

Pierre Philippe

© 21 Aout 1998. Le Monde

(...)

34 Cour Napoléon 75001 Paris # 06







(...)