dimanche 17 juin 2007

regarder voir - gérard lefort # 1

Le clignotant «par ici la bonne soupe pour les pédésexuels» indique une mauvaise direction. Car cette image d’homme bandé a surtout déclenché les filles qui, in situ le bureau, l’ont trouvée : excitante (55 % des personnes interrogées), sexy (35 %), charmante (9 %), cool (0,5 %), hot (0,5 %), ne se prononcent pas (0 %). Une sondée précise que le comble de l’érotisme ne tient pas au cul nu mais à la main de l’homme en position de profil égyptien qui rend ce Sicilien de 1953 quasi pharaonique. La calotte qui couronne sa tête augmente cette allusion à l’antique. La photographie ayant été prise dans une mine de soufre dans les années d’après-guerre où le cinéma italien inventait le néoréalisme, il est patent qu’elle participe de cette esthétique morale consistant à s’intéresser aux damnés de sous terre plutôt qu’aux puissants. Mais on peut dire aussi de ce corps sculpté par la photographie qu’il redonde avec une tout autre exaltation des nudités musclées qui fit en Italie la gloire de la statuaire fasciste, en Allemagne celle du nazi Arno Brecker, et en URSS le triomphe du prolétaire en Apollon de la classe ouvrière. C’est cette étrange réversibilité du désir qui trouble le plus. Il faut se dire que dans les pires moments du nazisme ou du réalisme socialiste, il y avait peut-être un jeune homme et/ou une jeune fille qui levant les yeux sur ces figurations totalitaires de la perfection en concevait malgré tout un trouble sexuel transcendant le malheur de les subir. Sinon, on voit que le réel reprend vite le dessus. Si l’homme est nu, ce n’est pas pour faire le beau mais parce qu’il devait régner en ce boyau une chaleur d’enfer qui minéralement sentait le soufre. Quant à la souffrance. Il suffit d’imaginer le poids du wagonnet que les deux mineurs sont en train de manœuvrer, ou de remarquer les pieds de l’homme, chaussé de boue. Ce qui sidère le plus c’est qu’on soit presque surpris que ce soit des Blancs qui subissent une mise à nue d’aussi mauvais aloi. Dans ce registre, l’image dominante, presque le cliché, est celle d’un Noir sud-africain suant dans une mine de diamants. Ce Sicilien maculé est un Noir, en italien, un negro.

(c) libé 16/06/07

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